Jusqu’à la baie James à trois roues, l’hiver
Mario Villeneuve est un gars de moto. « N’importe laquelle, tout simplement : enduro, Harley, Yamaha… » Il organise depuis de nombreuses années le rallye du HOG de Hearst, un événement qui ne passe pas inaperçu dans la petite ville du Nord. En mars 2015, il a réalisé un rêve : celui de se rendre sur la côte de la baie James en moto.
Un vendredi, j’ai réalisé un rêve : je suis monté sur la Ural 2014 que j’avais acheté l’hiver précédent et j’ai pris la direction de Moose Factory/Moosonee. Dans notre région, c’est incroyable comment on est collés sur la baie James. Je ne comprends pas pourquoi personne n’y va. Suivre un chemin de glace vers la baie James, c’est toute une expérience à vivre en voiture. Imaginez en moto.
Le parcours
Je suis parti de Kapuskasing : j’ai pris le chemin Freddy Flat en direction de Little Long-Smoky Falls (deux barrages hydroélectriques). J’ai bifurqué vers le barrage Abitibi Canyon, je l’ai traversé et je suis monté jusqu’à Otter Rapids. Ce trajet-là, jusqu’à la fourche de Wetum Road (le chemin de glace ouvert en 2013), prend un peu plus de 2 heures à parcourir.
Arrivé à la barrière du chemin de glace, ils m’ont enregistré — ils le font par mesure de sécurité. [C’est la Première Nation Moosecree qui contrôle la guérite.] Ils ne pouvaient pas m’empêcher de passer : je n’étais ni en VTT ni en motoneige, deux types de véhicules interdits sur cette route (comme les poids lourds). Ce chemin-là est voué à la circulation de passagers, ce ne sont que des résidants qui l’empruntent.
Le Wetum Road, c’est 170 km de chemin d’hiver. Ça se parcourt en 2 h 30. On ne voit rien, en avançant : juste des petits arbres. C’est rough. Et tout à coup, les arbres grossissent. Puis on traverse une rivière. Et les arbres rapetissent presque tout de suite après. C’est fascinant.
[TVO a préparé un reportage de 4 minutes sur cette route, ouverte quelques semaines par année. Le reportage est en anglais, mais les images valent le détour !]
Sur cette route, il n’y a pas vraiment de circulation. J’ai vu trois voitures, peut-être. J’ai croisé des groomers, comme dans les sentiers de motoneige. C’est impressionnant de voir les gars travailler le chemin, de voir le grader, le groomer qui tire de vieux pneus, le tracteur…
Je me suis arrêté dans des zones marécageuses et j’ai coupé le moteur. Le silence qu’il y a là, l’isolement… C’est tout un sentiment et c’est difficile à expliquer. J’étais carrément dans le milieu de nulle part, je ne voyais pas au bout, à 360 degrés. Et je savais qu’il n’y avait personne. J’étais tout seul au monde. C’est un méchant feeling. Ça donne des frissons.
L’arrivée
Tout le monde pense que la route de glace mène à Moosonee, comme lorsqu’on prend le train. Mais on arrive « à l’envers », du côté est de la rivière Moose, à Moose Factory. Il faut traverser la rivière pour se rendre à Moose Factory, puis traverser encore la rivière jusqu’à Moosonee. Et comme on est près de la baie James, il y a de la marée. Je suis arrivé à marée basse, ça descendait à pic. Il y avait de grosses cracs et l’eau avait monté. Je roulais dans l’eau, c’était un rush.
J’ai eu un bris, une fois arrivé. Je suis arrêté à la station-service à Moose Factory. J’ai trouvé de l’aide, des outils, un garage chauffé. En 20 minutes, le village au complet était là à me regarder faire. C’était drôle.
Les conseils
Question de sécurité, il y a de mon monde qui m’a offert de me suivre en voiture, mais ç’aurait coupé le sentiment d’aventure et le sentiment d’accomplissement. J’avais prévu de l’équipement pour passer une nuit dans le bois. Si jamais il arrive quelque chose sur cette route, ce n’est pas la fin du monde : un moment donné quelqu’un va te trouver, il y a juste un chemin.
Personne ne savait que j’arrivais. J’ai des amis là-bas, je leur avais dit qu’un jour je ferais le voyage, mais pas plus. J’ai passé la nuit au Cree Village Eco Lodge, un bel hôtel. J’ai déjeuné avec le propriétaire — un beau déjeuner — et on a jasé. C’était excellent, c’était parfait !
En janvier, février, les conditions auraient été meilleures. Mais je suis parti en mars, donc tard dans l’année. Le soleil avait chauffé la glace. C’était comme une surface de terre gelée, super rough. C’était physiquement demandant, mais comme je m’entraînais pour un marathon,j’étais à niveau, sinon, j’aurais manqué de jambes.
À certains endroits, c’était juste glacé. La prochaine fois, je vais mettre des clous sur les pneus. J’ai eu peur quelques fois, sur la glace.
Pour ce qui est de la température, il faisait -26, le matin, quand je suis parti de Moose Factory. Il faisait super soleil. Ça prend des lunettes de soleil et des poignées chauffantes.
Je m’étais apporté de l’essence, beaucoup d’essence. Il faut dire que j’avais amplement de place. J’ai fait le plein à Moosonee, avant de redescendre. J’avais aussi un satellite, mais je l’avais laissé dans la valise, alors il ne marchait pas… Ç’a fait choquer mes proches!
Pourquoi une Ural
Une Ural, qui entre dans la catégorie enduro dans les magazines, ce n’est pas une moto performante. Mais en matière de fiabilité, c’est un petit tracteur constant. Ç’a été inventé par les Russes pour la guerre et pensé pour l’hiver. Elle a deux roues motrices – la roue arrière et, sur demande, la roue du sidecar, alors tu as toujours une traction. C’était parfait pour ce genre d’expédition.
J’aime aller sur les routes non pavées avec ma Ural, mais aller à Moosonee, c’était un rêve. Maintenant, j’aimerais me rendre jusqu’à Attawapiskat pour voir la baie James. J’aimerais ça aller prendre un café au Tim Horton’s de Kashechewan. Paraît qu’il y en a un ! Je vais prendre le temps d’apprécier l’expérience : partir le vendredi, coucher à Moosonee, pour revenir le lundi. En profiter.